Les regroupements de femmes (Tékèrèni) : un espace d’émancipation économique « par excellence »

Résumé

Cet article se propose d’interroger ce paradoxe, où l’agilité sociale que les femmes déploient au quotidien se traduit généralement par une promotion sociale, c’est-à-dire une autonomie – au Mali, dans la langue véhiculaire qu’est le bamanankan, on utilise ici le terme yɛrɛta, qui signifie littéralement « se prendre soi-même [en charge] » –, et non une émancipation de soi. C’est dans cette oscillation entre autonomie possible et émancipation proscrite que l’on analysera la manière dont les femmes exercent simultanément leur identité de genre (musoya) et leur autonomie (yɛrɛta) au sein de cet espace féminin que les femmes nomment Tékérèni. Tékérèni signifie littéralement en bamanankan "applaudir". Une forme de regroupement appelée mùso-tɔn, dans lequel de nouvelles identités féminisées sont produites. Dans cet espace où les femmes déploient tant leurs imaginaires que leurs pratiques, on s’attachera à montrer comment les femmes se construisent économiquement dans cet espace et avec quelles stratégies ? Dans ce questionnement sur le yɛrɛta, le terrain va servir de référence pour analyser, identifier ces lieux matériels et symboliques sur lesquels les femmes se construisent socialement et économiquement. Et, la multiplication des pratiques différenciées des femmes dans ces différents lieux interroge les logiques d’émancipation partiellement autonome des femmes. Les résultats du terrain ont montré que Tékérèni sécurise socialement les femmes et leur aide à transformer leurs actions en capacité techniques et opératoires. Il produit aussi de nouvelles normes en termes d’éthique et de valeur par rapport à la société globale. Par exemple, le mode de fonctionnement de Tékérèni à travers le choix de la présidente, au moment du paiement de sa cotisation, les sanctions internes, les règles de répartition des bénéfices (tono), le mode d’adhésion sont autant de paramètres permettant de comprendre les logiques d’émancipation internes et peu visibles du point de vue des normes des plaidoyers internationaux, à travers les pratiques innovantes d’autonomisation des femmes.